Notre devise nationale est une formule mathématique ! (merci, M. de Tocqueville)
Alexis de Tocqueville. Théodore Chassériau, château de Versailles, 1850.
1843
Alexis de Tocqueville a 38 ans. De la démocratie en Amérique (1835) en a fait un chevalier de la Légion d’honneur et lui a ouvert les portes de l’Académie des sciences morales et politiques (1838) puis de l’Académie française (1841). Depuis 1839, il est député de la Manche.
Arthur Gobineau a 27 ans. Oisif dans l’administration des Postes, il a publié quelques articles, dont Du mouvement intellectuel de l’Orient et un autre sur Ioánnis Kapodístrias (le premier président de la Grèce indépendante). Il traine son mal de vivre en fréquentant les salons parisiens, dont celui de madame de Serre.
Tous deux sont légitimistes – ils sont du côté des Bourbons. Les circonstances de leur rencontre ne sont pas connues : peut-être chez madame de Serre, ou chez Charles de Rémusat. Le jeune Gobineau intrigue Tocqueville. Vous avez des connaissances variées, de l’esprit beaucoup, les manières de la meilleure compagnie, ce à quoi on ne peut s’empêcher d’être très sensible, quelque démocrate que l’on soit. Ajoutez à toutes ces causes cette autre qui vous flattera moins, c’est qu’on ne sait pas bien, en vous voyant, ce que deviendront toutes ces qualités. Déjà, des pressentiments inquiets.
S’ensuit une correspondance traitant principalement de questions morales. Ces échanges épistolaires révèlent une estime réciproque non dénuée, de la part de Tocqueville, d’un esprit humaniste et critique ; et chez Gobineau, d'un matérialisme béat.
1849
Tocqueville est ministre des Affaires étrangères au sein du gouvernement d’Odilon Barrot. Gobineau est nommé à la légation de Berne, où il s’ennuie tout autant qu’aux Postes. Il occupe son temps à écrire un Essai sur l’inégalité des races.
1853
A peine sorti des presses de Firmin Didot, le protégé en adresse un exemplaire au maître. Tocqueville lui répond par une lettre du 17 novembre 1853. Une lettre admirable par la forme : quel style raffiné… quelle élégance de ton… l’assurant de sa parfaite considération, l’illustrant même de quelques compliments, comme pour mieux porter un jugement sans appel, et prémonitoire. Ne voyez-vous pas que de votre doctrine sortent naturellement tous les maux que l'inégalité permanente enfante, l'orgueil, la violence, le mépris du semblable, la tyrannie et l'abjection sous toutes ses formes. Doctrine, dit-il ailleurs, qui aboutit à un très grand resserrement, sinon à une abolition complète de la liberté.
Qui a mieux annoncé en quelques lignes les ravages du racisme, quarante ans avant que le mot ne soit inventé ? Nombre de textes de nos penseurs comportent ici ou là des phrases malheureuses. Sur ce cheminement périlleux du racisme, Tocqueville, lui, jamais ne trébuche. Et de conclure comme pour s’excuser : « Ayant écrit tout ceci très rapidement et avec une sorte de furia francese… » Qui n’aimerait pas écrire ainsi avec une telle furia francese ?
La correspondance de Tocqueville et de Gobineau est à la hauteur des meilleurs écrits de Tocqueville tant par leur mérite littéraire propre que par l’intérêt et la valeur documentaire qu’elles ont pour la biographie de l’ami et du correspondant du maître, Arthur de Gobineau. Au point de vue littéraire, elles peuvent être comparées à ce qu’il a écrit et publié de meilleur ; elles font bien connaître l’homme et le feront plus aimer encore ; elles projettent, enfin, sur l’écrivain un jour nouveau, puisqu’elles montrent aussi sa supériorité dans le genre épistolaire. A celui-là même qui ignorerait la renommée de l’écrivain et sa brillante carrière politique, la lecture de la correspondance que nous présentons aujourd’hui au public suffirait à révéler un caractère noble et élevé, un penseur sagace et profond, un politique éminent. (L. Schemann, 1909).
2024
Je remercie M. Michel Wieviorka de me l'avoir faite découvrir. C’était le 2 octobre dernier au Collège de France. De ce grand texte, j’ai tiré un petite chose divertissante, née du lien entre le racisme d’une part et, d’autre part, l’abolition complète de la liberté et l'inégalité permanente : notre devise nationale est une formule mathématique ! Eh oui :
[Liberté] + [Égalité] = [Fraternité].
non[Fraternité]= [Racisme] => non[Liberté] + non[Égalité]
CQFD
Essayez la même chose avec une autre devise, prenons, comme par hasard, Travail, Famille, Patrie. Et bien ça ne fonctionne pas.
Du coup, j’ai enrichi mon Grimod de La Reynière, Itinéraires d'un homme libre (2ème édition revue et complétée) de cette trouvaille amusante. Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas acquis, il est disponible pour tout le monde sans distinction de race ici, en version papier ou numérique à des prix qui frisent ridicule. Alors profitez-en ! Et saisissez cette occasion pour visiter ma bibliothèque, qui se trouve là.
Bonne journée à toutes et à tous, et soyez curieux!
P.S. : pour celles et ces ceux qui iront jusqu'à la fin de la lettre de Tocqueville, une surprise les attend, autre sujet de réflexion d'une particulière actualité : j’ai fait l’économie des journaux français qui, comme je vous l’ai dit, je crois, me paraissent avoir résolu un problème cru jusqu’à présent insoluble, qui est d’être plus insignifiants que des journaux censurés.
.jpeg)


Commentaires
Enregistrer un commentaire